Faites passer le mot

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Léonie (70 ans), son village, son journal intime

J’ai croisé Léonie BARBOTON il y a maintenant 3 ans.

Elle parcourait les rue de ce petit village du Jura, avec ses deux paniers toujours plein de provisions, son éternel tablier à carreaux bien ficelé sous sa poitrine et chaussée de bottes en caoutchouc recouvrant des chaussettes épaisses.

Sur sa tête, se dressait, imperturbable, un chignon posé, là, comme une boule de glace dont le cornet se déploierait en une frimousse charnue et rougie par les froids et les vents de l’hiver. Seuls ses yeux dessinaient une fente allongée laissant quand même apparaître la couleur de l’iris d’un bleu glacier.

Il était rare et c’était une chance de voir la couleur des yeux de Léonie. Il semblait toujours que quoi qu’elle fasse, elle gardait ses paupières à demi-closes.

Les Moussières est un lieu caché dans les collines du Jura.

C’est un petit village organisé autour de la place de l’épicerie tenue depuis 30 ans par Jeannot BLANCHARD qui, lui-même a succédé à Camille, sa mère.

On y trouve de tout dans ce lieu, de la vache qui meugle, jouet tant apprécié des enfants de passage, aux meules de comté prenant toutes leur place sur l’étal.

Il y a une église dans ce village, pas très loin de l’épicerie. On en voit juste le clocher, les maisons l’étouffent un peu.

Léonie, la Léonie des Moussières est arrivée là par hasard.

Elle avait rencontré ROBERT au bal du Plantet. Il lui avait parlé de ses vaches, de son beau troupeau durant la valse qu’elle avait accepté de danser avec lui.

Et ça l’avait séduite, la Léonie.

Elle l’avait donc suivi à la ferme des GRANGEON pas très loin de chez les RENARD.

Cette ferme basse n’avait pas beaucoup d’ouverture. Le vent, la brise du Jura, il faut bien s’en protéger.

On pouvait imaginer en entrant, une grande pièce sombre où trônait la cuisinière à bois, les casseroles posées en permanence, les bidons de lait près de la souillarde et le buffet pauvre en ustensiles.

 

11 Mars :

Dire que dans deux jours, j’enterre mon ROBERT. J’réalise encore pas cette chute du toit qui lui a été fatale.

Mais pourquoi donc lui avoir demandé de fixer une parabole près de la cheminée ??

Si on m’avait pas tant parlé de « Plus belle la vie ». Tout ça c’est de la faute à la GUIGUITE avec sa grande télévision presque aussi grande que l’dessus de mon fourneau et en couleur en plus.

Elle me faisait envie la gatte.

Et mon Robert qui ne m’a jamais rien refusé, l’a achetée la télé, avec l’antenne, ça fonctionnait pas…

J’comptais, nos sous tous les soirs pour voir si on avait assez, s’il fallait que je réduise mes achats à l’épicerie… Moi qui aime bien découvrir les nouveautés que l’Jeannot expose.

Et ben, voilà qu’en plus de la télé, va falloir payer l’enterrement de Robert.

J’ai choisi un beau cercueil, du chêne, du brut, découpé dans la parcelle tout près de notre ferme.

Les coussins, je les ai choisi violets, ça éclaire le teint de mon Robert.

Pour la messe, j’ai pas voulu faire comme les Martins  avec leurs chants religieux qui n’en finissaient pas. Ça NON !!

J’ai choisi La Montagne de Jean FERRAT. C’est une chanson qu’il aimait bien Robert.

Je prévois de réunir toute la famille et les amis à la ferme autour d’un bon pot au feu.

En mémoire de Robert, faut bien ça…

12 Mars :

Les officiels sont venus me voir tôt ce matin. Quand je parle d’officiels, je veux dire le Maire et l’instituteur. Le curé ne pouvait pas se joindre à eux à cause du catéchisme.

Ils ont voulu me persuader d’organiser une cérémonie plus officielle avec discours et tralala.

Moi, je me dis que ce serait une sacrée claque pour la Guiguite qui, elle, avait réclamé la fanfare à la sortie de l’église pour les obsèques d’Antoine.

Et pourquoi pas un feu d’artifice pendant qu’on y est.

Enfin, je vais réfléchir… D’un côté, mon Robert mériterait bien tous ces honneurs.

Pendant des années, il a déneigé les rues des Moussières avec son tracteur et, quand il était jeune, il était pompier volontaire et des feux, y’en a eu.

On se demandait même s’il n’y avait pas un incendiaire dans la région.

Pour les honneurs, je crois que je vais accepter.

13 Mars :

Voilà, nous y sommes. Aujourd’hui, je me sépare vraiment de mon Robert.

J’ai choisi, pour ce jour, la robe qu’il m’avait acheté sur le marché le jour de la foire, celle qui a lieu tous les quinze Août.

Elle a des fleurs blanches sur un fond bleu, bleu comme je ne sais pas comment dire.

Les fleurs arrivent à dix heures, il faudra que je sois prête.

ENTERREMENT

Voilà, c’est fait- c’était une belle cérémonie- Il y avait plus de monde que pour l’enterrement du mari de la Guiguite et les discours étaient vraiment bien écrits.

On voyait bien que c’était de mon Robert qu’il parlait.

Même le père BUFFLE et le jeune ÂNE n’en revenaient pas.

Par contre qu’est-ce qu’on a eu froid au cimetière… Tout d’un coup, il s’est mis à souffler, ce vent du Nord qui vous glace les entrailles, même bien couverts.

Heureusement, le pot au feu nous attendait bien chaud, bien parfumé surveillé de près par les deux filles de la Josette.

Je n’ai pas plaint les boissons qui ont bien réchauffé les gosiers…et comme toujours, Albert a voulu une dernière fois rendre un dernier hommage à Robert en chantant « La Montagne » sa chanson préférée.

 



11/05/2019
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