CELINE
Avec des si
Si les canards savaient parler
ils diraient que mon café est brûlant.
Si les escargots savaient écouter
ils enrouleraient mes souvenirs pour les conserver.
Si les ours savaient mes peurs
ils m’envelopperaient dans leur fourrure.
Si les mouches savaient nos vices
elles se méfieraient de l’adhésif.
Si les autruches savaient voler
nos fuites seraient illimitées.
Cela fait déjà dix minutes que...
J’attendais cet instant avec impatience. Je me sentirai enfin libre, je pourrai entreprendre, oeuvrer avec énergie et enthousiasme. Cela fait déjà 10 mn qu’il est parti et je suis restée là, vissée sur ma chaise, prostrée, jambes emmêlées, dents écrasées. Je me sens prisonnière, je ne peux agir, je suis lasse et triste. Cela fait déjà 10 mn qu’il est parti et je suis engloutie. Quelle mauvaise compagnie que la solitude.
Clarisse MEMSI - 38 ans - Lyon
Clarisse MEMSI a 38 ans. Elle est tonique, elle a l’énergie et l’enthousiasme communicatifs. Il est rare qu’elle évoque ses souffrances, ne le fait qu’en tête à tête et devient inconsolable. Elle vit seule, elle veut faire du bien autour d’elle sans faire de mal et veut avancer sans être freinée.
Clarisse vit à Lyon dans une maison de poupée ancienne, sur la colline qui travaille. Sa maison a une pièce à vivre au rez-de-chaussée traversée par la lumière d’est en ouest, et une chambre sous les toits.
« Journal intime »
mardi 12 février
Ma vie est faite de projets incessants et enchevêtrés. Dans deux jours c’est la St Valentin. Je serai donc seule, je n’aurai pas d’amis à inviter ce jour-là, je ne serai pas invitée non plus. Mes amants seront avec leur tant-bien-que-mal-aimée, mes amis seront en couple.
C’est le jour de l’année où les amoureux au café me feront rêver, où mon repas sera une tablette de chocolat, où ma soirée sera interminable. Comment font-ils donc pour être heureux ? Comment accepter l’autre dans son entier ? Comment faire le deuil du prince charmant ?
mercredi 13 février
Je me prive du feu d’un homme. De sa chaleur, de sa vie, de son enveloppante présence, de sa connivence. Mais je m’évite le diktat d’un despote. Je n’ai pas à subir ses humeurs, ses souffrances, sa présence quand je voudrais être seule, la déception de ne pas recevoir ce que j’attends.
Pourtant demain je serai libre, et je ne saurai rien faire de cette liberté. Est-ce que je manque de courage, de force ou de sagesse ?
jeudi 14 février
Et si je l’invitais, cet homme que tantôt je repousse tantôt je séduis ? A quoi ressemblerait cette soirée ? Et où nous mènerait-elle ? Ne faudrait-il pas que je fasse confiance à la vie et que j’accepte de découvrir où elle me mène ? Je suis libre de choisir de tout à tout moment et en tout lieu, mais est-ce une liberté de vie ou une contrainte de solitude ? Suis-je immature au point de ne pas désirer plutôt que d’être frustrée ?
Deux collines et deux fleuves
Si les canis ne réchauffaient pas dans l’intimité respectée
Si St Jean la matrone ne cachait pas des bancs sous son ombre près des vestiges
Si le Rhône ne pouvait être suivi puis redescendu à vélo
Si les écureuils ne nous faisaient allonger au pied des séquoias
Si le chaperon rouge ne s’était aventuré sur la colline des canuts
Notre-Dame aurait-elle illuminée la colline qui travaille ?
La vulnérable Saône se serait-elle jetée dans les bras de la puissante eau bleue ?
Si mon arrière grand-père n’avait pas officié à l’hôpital qui aujourd’hui se fout de la Charité
Si elle ne t’avait pas séduit à mi-chemin du coeur de Paris et de tes racines limousines
Je ne me serais pas jetée dans tes bras
En 2019, j'ai rendez-vous avec l'atelier
Je suis pleine d’attentes, j’ai hâte d’y revisiter l’amour et ses arômes, d’y développer mon attachement à ses outils. J’entends déjà le glissement rythmé du stylo, je sens déjà la douce chaleur du papier, je vois déjà ces voyages de noir et de blanc, de pleins et de déliés, d’ombres et de lumière. Je vais dévisser mon passé, marteler ma confiance, mesurer mon existence, limer ma colère, livrer mes constructions, accueillir les regards étrangers nourrissants et leur monde.
Ferme
La ferme. La maison ouverte sur le monde. La demeure qu’on ne ferme pas, qui cohabite avec la nature. Le lieu de vie qui accueille, ouvre ses bouteilles. Le foyer qui tend à se recroqueviller pour laisser place aux cages à poules, verrouillées, vidéo-surveillées, protégées de la menace de l’ouverture à la diversité du monde.
Hommage à Charles Aznavour
« J’entends ta voix »qui dit sans mots
Cette mélodie si tendre
et ses silences comblés par ton souffle
« J’entends ta voix » qui dessine ton visage
Cette posture si apaisante
émue et sereine à la fois
« J’entends ta voix » qui cache ton désespoir
Ce voyage déjà amorcé
en pudeur et silences
J’écoute ta voix
que je n’entendrai plus
J'ai un petit métier de rêve
Je leur parle, ils m’écoutent, par bruissement, frémissement. Ils fléchissent leurs branches pour mieux se rassembler autour de moi, dressent leurs feuilles pour mieux m’entendre. Tiens, celui-ci n’a pas réagi. Je m’approche, son écorce est blessée, il a des cicatrices, ses feuilles sont ternes. Nous allons l’aider à retrouver sa sève.
Nous avons besoin de ses racines, de ses feuilles qui nous protègent du soleil l’été et tombent l’hiver pour mieux laisser entrer la lumière.
Je joue avec les mots...
Je joue avec les mots comme je jouerais à prendre ma plume et mon envol. Ma plume hulule la nuit en toute écriberté. Je veux écrire. Ecrire à gogo. Ecrire, graver, noircir le papier, enguirlander les mots, vider mon stylo, user ma plume, effacer le blanc du papier, gribouiller, faire le plein et délier, nourrir le papier, noyer le papier. Je veux me contraindre à la liberté d’écrire.
L'eau de la mer
Le tourbillon de la vie, plein de douceur et de clarté, nous permet de penser et repenser nos souffrances enfouies. Les quelques douleurs que nous rencontrerons sur notre chemin, nous permettront de mieux phagocyter ce nœud brûlant en s’en faisant écho à la lumière du levant. Ne restera que le coeur débarrassé de ces multiples couches, qui fera de nous l’être sensible que nous sommes.
La coupe est pleine
Le millésime 2019 de la carte CoVid (Coupe Vide) est enfin publié. Nous avions hâte de connaître la seule boisson départementale autorisée pour remplir notre coupe cette année.
Pour de nombreux départements « verts », qu’ importe l’ivresse pourvu qu’on ait le verre. Verre à vin, vert bouteille : le degré d’ébriété n’importe pas, seul le contenant comptera . . . ou fera conter. Il en va ainsi du Calvados où tout sera permis, cidre ou poiré avant même distillation.
On retrouve classiquement des départements rouges, rosés ou blancs, des provinces blondes, brunes ou rousses.
Le jaune est encore bien présent cette année, mais les Bouches-du-Rhône ne pourront s’y baigner. Elles sont bleues cette année, l’eau, sans le pastis. Dans la Marne également, on se Reims à l’eau.
Six nuances de bleu cette année : l’eau de source, l’eau gazeuse, l’eau minérale, l’eau ferrugineuse, l’eau-de-vie, l’eau de cologne.
Des départements gris, comme le Bas-Rhin, où c’est au Pinot qu’on draine pour reprendre des couleurs.
Gard à Nîmes, les degrés montent haut, département noir : seul le café est autorisé pour lutter contre la sieste.
La porte du frigo était ouverte, je suis entrée
Mon dévolu est tombé sur un reste de viande mal cuite. Il sera un foyer idéal pour m’y épanouir avec un nombre de congénères infini.
Les consommateurs, eux, ce qui les intéresse, ce sont les bovidés. Massifs, poilus, mais aussi cornus, la référence virile. Ils s’y voient déjà, les muscles exhibés , la peau luisante. Ou bien ils s’imaginent faire de leurs enfants des indestructibles.
Moi, on m’ignore. Mais pas vue, pas prise. Je vais me multiplier à l’infini. Et là, on va voir leur virilité. Je vais les faire vomir leurs propres tripes. Je vais les vider par tous les orifices, je vais les réduire à néant, ces nantis qui se croient tout puissants.
Le Beaujolais nouveau
Rouge
Rouge sang
Rouge vie
Rouge cerise
Rouge plaisir
Rouge à lèvres
Rouge séduction
Verre de rouge
Nez rouge
Tout bouge
Le chercheur de poux dans la tête
Je suis chercheur. Chercheur dans le domaine capillaire. Spécialisé dans la recherche de poux dans la tête.
C’est un métier qui demande beaucoup de diplomatie, de pédagogie, de psychologie. En effet, il faut en premier lieu obtenir des sujets pour faire ses recherches. Après avoir choisi sa tête, il faut en convaincre le propriétaire de se prêter à cette expérience au bénéfice de la science. La science laborieuse, la science de la minutie, la science exacte. J’explique donc au propriétaire du cuir chevelu qu’il sortira lui-même grandi de cette expérience. Sans doute se croit-il inhabité, alors qu’il est parasité. Sans doute que cette découverte lui permettra de résoudre nombre de ses problèmes jusque là sans solution. Et qu’il se croyait sans problèmes, la science exacte lui révélera enfin qu’il en a, il sera enfin éclairé sur sa personne.
Le dernier sujet que j’ai exploré était convaincu d’être seul dans sa tête parce qu’il était chauve. Eh bien la rigueur de mon travail a pu lui démontrer que non. Je lui ai cherché et trouvé des poux dans la tête. L’un accroché sur un cheveu de sa maîtresse resté dans son cou, l’autre sur les poils négligemment laissé sur ses oreilles. Je lui ai donc démontré avec bienveillance qu’il allait devoir se traiter pour ne pas rester pouilleux.
Ce métier demande aussi beaucoup de patience, de minutie, de bienveillance. En effet, lorsque le sujet choisi est classiquement chevelu, il faut l’examiner longuement, patiemment, précisément. Cela nécessite parfois d’exhiber son crâne, de tirer un cheveu ou deux. Mais attention, le plus difficile pour le sujet reste à venir : c’est l’annonce de la parasitose. Il faut donc le ménager avec délicatesse.
Les portes automatiques
Il est là, debout. Pas appuyé sur la porte pour se détendre, non, rigide, sans ouverture. Il est tout aux regards posés sur lui. Sur sa cravate qui dissimule ses boutons, sur son costume qui joue son rôle. Il se sent respectable, le temps d’un voyage. Mais attention aux pickpockets nous terrorise-t-on.
Mais qu’a-t-il donc à dissimuler ? N'est-ce pas sa richesse intérieure qu’il cache ? A-t-il peur qu’on la lui vole ? Ne passe-t-il pas à côté de lui même ?
Elle elle est là, assise. Pas le regard dans le vide ou affairé à une lecture, non, à côté de son petit-fils. Elle est tous regards posés sur lui. Tous regards pesants sur lui. Sur ses yeux, ses gestes attendrissants. Elle est comblée le temps d’un voyage. Mais donnez-donc votre place, nous moralise-t-on.
Mais qu’est-ce que cet enfant vient donc réparer ? N’a-t-elle pas tort de tout lui donner ? Ne passe-t-elle pas à côté de sa propre vie ?
Je suis là, égarée. Pas cherchant mon chemin, non, absente de moi-même pour m’enrichir des autres. Je suis tous regards posés sur cet homme en détresse, cette femme en quête, cet enfant sur qui pèse le bonheur. Mais validez votre pass pour laisser trace, nous commande-t-on.
Une main chaude, douce et délicate glisse autour de ma taille. Un précieux baiser s'enfouit dans mon cou. Mon amoureux vient de passer les portes automatiques. Il me surprend dans mon égarement, me rassemble à mon corps, je suis entière à notre douce réalité.
Ne craignons pas l’étranger qui nous enrichit, ne laissons pas commander notre générosité qui sait où aller, restons libre.